Jacques de Bascher, Dandy de l’ Ombre de Marie Ottavi
La vie de Jacques de Bascher nous plonge avec délectation dans une époque où les energies les plus folles envahissent la rue .
Dans Les années 70, avec St Laurent, une vague rétro s’est emparée des françaises.
La mode est aux chroniques mondaines. Paris est une ville sulfureuse, les cinémas pornos prolifèrent, les gens sortent tous les soirs, sans se soucier du lendemain. Le tout Paris a rendez-vous avec la nuit. Tout se passe dans les clubs. On y fait des rencontres et des affaires. On se croise chez Castel, chez Régine, à l’Alcazar, au 7, au Palace, des lieux incontournables pour se faire voir et être vu.
En suivant le parcours de Jacques de Bascher qui nous est merveilleusement conté dans le livre de Marie Ottavi, l’auteur nous fait revivre toute cette période déjantée.
‘’ L’esbroufe jusqu’au dernier souffle. ’’
Dandy avant la lettre, puisqu’il n’a jamais rien fait de sa vie, Jacques, dont la curiosité et l’arrivisme sont déterminants, nous entraine dans le sillage des plus grands artistes et génies de ce siècle.
Jacques, dont l’ascendance désargentée ne lui convient pas, est en décalage avec son idéal aristocratique .Il soigne son apparence en cultivant un maniérisme désuet, parfait son carnet d’adresse au Flore. Il ne pense qu’à s’amuser et à rencontrer des gens …toujours des gens..
Serait-il le symbole de cette décadence des années 70 où tout le monde se croise, se mélange, sans jamais se soucier du lendemain?
Dans ce contexte, Jacques va rencontrer Karl Lagerfeld.
Les deux hommes sont très différents et tout les sépare. Ce sera le coup de foudre. Ils aiment les belles choses, échangent leurs préférences littéraires et leurs lectures à venir, vouent tous les deux une passion pour les classiques de la littérature germanique.
Si Karl est un forcené du travail , Jacques fascine le célèbre couturier pour son absence total d’ambition.
Ce grand écart improbable entre eux le rend irresistible aux yeux de Karl Lagerfeld qui ne cessera d’encenser la légèreté de Jacques de Bascher.
En devenant son compagnon officiel, Jacques va ensorceler Karl même si cette étrange relation ne sera jamais consumée..
Grâce au couturier, il intègre le milieu de la mode par les coulisses. Il fréquente et pose pour les plus grands (David Hockney, Warhol, Bacon et autres génies de ce siècle) avec une insouciance qui le caractérisera jusqu’à la fin de sa vie…
Son indifference au monde est spectaculaire, l’argent, le travail, ne font pas partie de ses occupations. Karl Lagerfeld s’en occupera toujours, c’est leur accord tacite. Le couturier laisse faire.
Alors, Comment écrire un livre sur un homme qui na jamais rien fait de sa vie mais qui reste sans doute un des témoins privilégiés d’une période follement créative et passionnante.
L’écrivain parvient, avec une main de maître, à nous passionner pour ce destin hors du commun. Dans les diners mondains, Jacques va croiser Yves St Laurent qui va tomber éperdument amoureux de lui. De Bascher vivra dans l’ombre de ces deux génies. Pierre Bergé ne supportera pas la mauvaise influence de Jacques qui plongera St Laurent dans la dépendance totale et malsaine de son amant. Le whisky, la coke,les petards deviennent des béquilles omniprésentes pour Yves qui se complait
‘’ dans un état nébuleux entre génie créatif et incapacité à interagir avec le monde de la mode qu’il habille et révolutionne. ’’
Pierre Bergé traitera Jacques de petite pute et mettra fin à leur histoire, ce qui plongera St Laurent dans la dépression et dans une descente aux enfers faite de produits de substitution. Jacques n’étant pas assez épris d’Yves et ne désirant pas tout perdre, cessera de le voir…
Ce sera la rupture définitive entre les clans Lagerfeld et St Laurent et la physionomie du tout-Paris en sera bouleversée.. A force d’être royaliste, de cultiver le style Vieille France Aristo, d’idéaliser tout ce qui émane de la Mitteleuropa, d’une Europe antérieure a la Première Guerre Mondiale … Jacques va radicaliser son discours et entretenir des relations nauséabondes avec la droite dure. Neuf ans plus tard la tendance est au délitement , l’intelligentsia gay dicte les modes et est à l’avant garde des idées, des moeurs…
La perversité et ses débordements sont constamment encouragées, on s’affranchit au nom de la liberté. La mode est aux partenaires multiples sans lendemain, la famille, les contrats, la fiscalité tout cela va à l’encontre de l’esprit libertaire qui anime la communauté homosexuelle, intellectuelle et artistique.
Les excès ont un goût amer. C’est le debut du questionnement.
Le réveil de Jacques sera violent . Karl et lui n’ont pas érigé d’oeuvres en commun.
‘’ La frustration est la mere de la victime. ’’
A force de ne rien faire et de vivre dans l’ombre du grand Karl, l’amertume va prendre le dessus.
Jacques plongera sans filet de sécurité dans la dérive, dans cet univers où le sexe est pratiqué sans douceur. Il se perd dans les lignes de coke, les parties de jambes en l’air, participe à des tournois privés de poker, mais ne fait finalement jamais rien.
Au milieu des années 80 tout va s’écrouler , le sida décime la communauté gay et hétéro, les crises économiques ne laissent plus de répit aux gens. La fête est terminée. Jusque là on admirait Jacques pour sa superbe mais la maladie l’intime l’ordre de se mettre à distance…
Le regard des autres est trop cruel, l’argent ne préserve pas de tout , on meurt dans tous les milieux même dans celui de Jacques de Bascher. Lagerfeld lui tiendra compagnie jusqu’à la fin.
Belle histoire d’un homme qui n’a jamais rien fait, mais qui par son originalité, son savoir, sa beauté, sa culture a inspiré les plus grands artistes… J’ai tout simplement adoré… C’est un sans fautes !!!
Merci Marie Ottavi.