trouble de Jeroen Olyslaegers
Le pogrom d’Anvers date de 1941. Il y en a eu plusieurs autres.
Trouble est l’histoire d’un flic qui écrit des poèmes.
Un homme qui aurait voulu être quelqu’un d’autre mais qui, par son manque de courage et sa médiocrité, va se perdre.
Son histoire, il a décidé de la raconter à son petit-fils sans ne jamais rien omettre. Wilfried Wils, est un type ordinaire, banal, mais tout de même amateur de Verlaine et de Rimbaud, qui se voit un jour devenir grand comme ceux qu’il admire tant.
En 1940, en pleine occupation allemande en Belgique et afin d’échapper au travail forcé, Wilfried Wils devient agent auxiliaire de police à Anvers, la ville du diamant.
‘’Tu sens la colère hautaine ? « Elle déferle sur Anvers’’
Pour ceux qui, comme moi, sont originaires d’Anvers, les noms des rues avec leurs bâtiments, leurs bibliothèques, leurs synagogues… évoqués dans le livre ont un effet terriblement troublant.
La Pelikaanstraat, la Kievitstraat comme tant d’autres sont les témoins silencieux de ces rafles et ces drames qui ont lieu en toute impunité.
Comme le titre du livre de Jeroen Olyslagers l’indique le livre joue sur cette réalité double qui définit les gens et l’époque et qui transparaît à chaque page.
Wilfried est un personnage équivoque, qui n’hésite pas, sans le moindre remord, à prendre part aux rafles des juifs mais qui, en même temps, se conduit de façon terriblement ambiguë, manquant souvent d’entrain dans ces saccages collectifs dont il fait amplement partie mais n’en assume pas, pour autant, toute la responsabilité.
Il est tiraillé entre le bien et le mal, entre son esprit romanesque qui aurait tant voulu faire le contraire de ce qu’il fait et qui, cependant, ne va pas lever le petit doigt pour véritablement agir ou changer le cours des choses, et son inacceptable conduite.
Entouré de son beau-frère, farouche résistant, faisant également partie de la police anversoise mais dont « l’héroïsme » ne fait pas de doute et de son vieux mentor Barbiche Teigneuse, fervent antisémite, nazi et collaborateur, Wilfried ne sait pas choisir son camp.
Ce qui aux yeux de la lectrice que je suis, le rend encore plus minable et médiocre. L’écrivain joue très subtilement avec le passé et le présent. Ce qui fait sans doute la force de ce livre est que Jeroen Olyslager, homme de théâtre, s’invite dans la tête de cet homme vieux, rempli d’aigreur et de colère, sans aucune empathie mais avec une complaisance typique des vrais salauds. La psychologie du personnage est parfaitement explicitée.
C’est un homme avec toutes ses contradictions, toutes ses immondes lâchetés, qui, au fil des pages, se dévoile de plus en plus. Son seul véritable regret, il le manifestera lors du suicide de sa petite fille punk qui n’est pas parvenue à assumer le passé de son grand père.
Je suis anversoise et je suis persuadée que la force de ce livre se ressent plus intensément encore dans sa langue originelle, le flamand. Je n’ai pu que ressentir davantage le grotesque cauchemardesque de ces personnages ternes, affublés de leurs uniformes qui leur donnent de l’importance
‘’ Mon uniforme est devenu un objet rassurant. Il ordonne mes journées de façon régulière, patrouiller est comme un rituel apaisant au milieu de cette folie dont nous sommes tous les jours témoins… ’’
Les surnoms des personnages du livre ont un double sens comme Barbiche Teigneuse.
Le pathétique et la misère humaine sont encore plus flagrantes dans ces scènes de café où l’ivrognerie se cache derrière chaque coin de porte, dès que le naturel reprend le dessus…
Je n’ai pu m’empêcher de penser à cette chanson de Jacques Brel « Chez ces gens-là » qui décrit à merveille la mesquinerie de ces gens pour qui l’argent revêt souvent plus d’importance que la vie humaine et où tout n’est que petitesse, ignorance et bassesse.
Ce sont ces gens là, ces Wilfried Wils, des gens parfaitement ordinaires, banaux, qui ont souvent été les plus grands salauds, les plus grands traîtres croyant ainsi trouver une porte de secours face à ce petit monde misérable qui s’offrait à eux.
Ce sont ces gens-là, dont, aujourd’hui comme hier, il est impératif de se méfier parce que, si isolément leur lâcheté les rend quasiment inoffensifs, en foule, ils sont des assassins en puissance.
Il s’agit d’un livre hautement salubre que je vous recommande vivement car aujourd’hui, tout particulièrement, la vigilance et la résistance s’imposent.