Au Gré des Jours de Françoise Héritier
Chers Lecteurs
Pour 2018, j’aimerai rendre hommage à une grande dame qui me touche tout particulièrement par la force et l’énergie qu’elle n’a cessé de dégager tout au long de sa vie : Francoise Héritier.
Elle est morte le jour de ses 84 ans, juste après ce beau passage télévisé que lui a consacré François Busnel dans La Grande Librairie où elle était venue présenter son dernier livre : Au gré des jours ».
J’étais restée collée à mon téléviseur en écoutant cette femme, au caractère bien trempé, présenter son livre, ce testament intellectuel et sensible, qui raconte sa vie.
Françoise Héritier fait partie de ces gens au destin exceptionnel, qui toute leur vie n’ont cessé de chercher à apprendre, à connaître et partager leur savoir. Ce qui m’a d’emblée frappé chez elle c’est la force qu’elle dégage, et la curiosité insatiable qui n’a cessé d’être le moteur de sa vie personnelle et professionnelle.
Une curiosité liée également à la langue française qu’elle cherche à tout prix à utiliser avec justesse pour décrire exactement les choses, pour trouver le bon mot qui exprime ce qu’on veut dire.
Elle envisage la vie comme ‘’ une course de haies qui se succèdent : il faut avancer, courir… ’’
Féministe jusqu’au bout des ongles, mais sans le revendiquer agressivement, elle est pour moi avant-gardiste par les idées qu’elle défend, par son éternelle lutte contre le sexisme typique de son époque, qui malheureusement reste toujours d’actualité, faisant des femmes des sous-produits à côté des hommes .
« Au gré des jours » fait suite au petit livre passionnant qu’elle a publié en 2012, « Le sel de la vie« qui raconte les petits plaisirs et bonheurs du quotidien.
Car, même si son extrême rigueur et sa grande discipline n’ont cessé de définir sa vie, Françoise Héritier est avant tout une grande jouisseuse de la vie.
Le livre est divisé en deux parties : dans la première partie, les choses extraordinaires et ordinaires de la vie nous sont racontées avec un bonheur surprenant; ces petites choses qui font toute la différence, qui font qu’on s’en souvient toujours, ces choses qui font « le sel de la vie ».
La deuxième partie est plus biographique et nous fait entrer dans l’intimité de la pensée de l’auteur.
Elle partage avec le lecteur les moments fabuleux qui ont marqué sa vie à jamais.
Car rien ne la prédestinait à un tel destin.
Issue de la moyenne bourgeoisie, Françoise Héritier a mené sa vie selon sa volonté, c’est à dire librement, échappant très vite à l’éducation ordonnée des jeunes filles. Elle fera des études qui la conduiront à suivre Claude Lévy-Strauss à l’Ecole pratique des hautes études en sciences sociales (EHESS) dont elle deviendra, par la suite, « la directrice ».
Levy-Strauss aura une influence considérable sur sa vie puisque c’est à son contact qu’elle fera des choix qu’elle n’aurait jamais pensé faire, comme, par exemple, abandonner les études d’histoire pour se consacrer à l’ethnologie et l’anthropologie sociale qui la feront vivre plusieurs années en Afrique.
Désignée par Levy-Strauss au Collège de France pour le succéder, elle et en prendra la direction, ce qui n’est pas sans importance , surtout dans le contexte de l’époque, essentiellement masculin.
Jusqu’au bout, même si elle s’en défendra, envers et contre tout, elle ne cessera de douter d’elle même, se sentant usurpatrice dans un monde faisant peu de place aux femmes.
J’ai beaucoup aimé le chapitre du livre dans lequel elle nous raconte, avec cette passion et cette gaieté contagieuse, qui la caractérisent, son contact avec la terre africaine.
Cette terre avec « son odeur poivrée, chaude, enivrante d’humus, qui est aussi de poussière, une odeur également invasive, troublante mais qui lui fut directement familière »
Comme ce peuple noir qui l’entoure et avec lequel elle passera plusieurs années de sa vie, avec sa fille qui grandira parmi les tribus, Francoise Héritier porte en elle cette chaleur, cette douceur qui la distinguent sans doute de tant d’autres ethnologues, tout simplement parce qu’elle restera toujours elle-même, accessible et curieuse de ce qui l’entoure.
Chère Françoise, bon voyage dans les étoiles.
Merci de nous avoir tant appris; reposez-vous bien là où vous êtes et continuez de rêver.