Le monde n’existe pas de Fabrice Humbert
Dès le début, le livre « Le monde n’existe pas » de Fabrice Humbert, s’ouvre sur des pages limpides et lumineuses emplies de mélancolie et de sensualité. Le narrateur, Adam Vollmann se remémore son adolescence difficile, son admiration démesurée pour la star du lycée, Ethan Shaw, jeune homme beau et blond, capitaine de l’équipe de football, meilleur joueur de tennis de l’Etat du Colorado,aussi mystérieux que lumineux et solaire. Ethan Shaw, ce jeune homme qui déchaine les foules fut le premier amour platonique du narrateur.
Un amour qu’Adam Vollmann n’a jamais oublié.
‘’On 12.January 2019. At vero eos et accusamus et iusto odio dignissimos ducimus qui blanditiis enim ad minima veni um deleniti atque corrupti quos sint occaecati cupiditate non provident, similique sunt culpa quis nostrum exercito mollitia harum quidem rerum facilis deleniti.’’
Vingt ans plus tard, au détour d’une rue, il tombe à Times Square sur d’énormes panneaux publicitaires affichant Ethan Shaw comme le meurtrier présumé d’une jeune adolescente mexicaine de 16 ans. Alors que le livre est avant-tout une critique sociale et sociétale,il se présente dès le début comme un roman policier avec ses tenants et aboutissants. Adam Vollman, devenu journaliste à NY, décide de prendre l’enquête en main afin de résoudre le mystère autour d’Ethan Shaw dont il ne croît pas à la culpabilité.
Il ne veut pas travailler sur « un fait divers comme un autre, traité, comme d’habitude, à la façon d’un spectacle » mais « veut analyser le traitement qu’en fait la machine médiatique affolée ». Il retourne dans la ville de Drysden où il a vécu avec sa mère après le divorce de celle-ci, ce lieu qui concentre à lui seul tout ce que le narrateur déteste comme d’habitude: la petitesse, le conformisme, l’absence totale d’intelligence et de curiosité, la bassesse des gens, l’appétit sordide du gain, et surtout la détestation de ceux qui réussissent.
Au fil et à mesure que le lecteur pénètre dans l’histoire, il est happé par un incessant aller-retour entre le passé et le présent, les souvenirs du narrateur se succèdent etcontredisent la réalité actuelle. Ethan Shaw passe du statut d’intouchable à celui du monstre absolu, du paria. Bien entendu, je ne vous dévoilerai pas la fin du livre, cependant je tiens à souligner les différents thèmes actuels que l’écrivain aborde au travers de cette fiction.
En tant que lecteur, il est très clair qu’Ethan Shaw, qu’il soit coupable ou non, est victime des images véhiculées par les médias, elles-mêmes objets de manipulation. En effet, le livre souligne le danger et l’influence qu’exercent les médias, les réseaux sociaux capables de construire une image qui ne correspond plus du tout à la réalité.
Peut-on encore prêter foi à tout ce que l’on voit sur nos écrans, quand on prend conscience de la capacité de nuire des médias, quand tous les montages sont possibles et que l’on peut même mettre dans la bouche d’un individu des propos qu’il n’a pas tenus?
Pire encore, ce que nous lisons, découvrons, ne modèle–t-il pas notre vision du monde pour construire de toutes pièces une autre réalité?
Aujourd’hui il est possible de produire une fiction qui donne l’impression d’être la réalité de notre monde. Le monde que nous voyons, que nous côtoyons tous les jours , est-il le vrai monde ou une fiction crée par les images, les medias ou encore par notre propre représentation de la réalité? Il suffit de regarder les réseaux sociaux permettant à ses usagers de se créer un profil à la carte. Comme c’est le cas dans le roman, la réputation d’une personne, peut être détruite en un seul clic. Le roman de Fabrice Humbert traite d’un sujet actuel, qui nous préoccupe tous.
En enquêtant sur le traitement médiatique de cette affaire, et en prenant conscience de notre accès illimité au monde, l’auteur nous incite à nous interroger sur la nature des images « des réalités » que nous recevons. Nous sommes manipulés, la plupart du temps, et nous devons le savoir!. Une nécessité qui sera d’autant plus nécessaire demain, lorsqu’une majorité des messages circulant sur la toile émaneront des « bots », c’est à dire lorsque les livres et les articles seront essentiellement rédigés par des intelligences artificielles et lorsque les « likes » et autres formes d’engagement seront majoritairement le fruit de clics totalement désincarnés et déshumanisés Il y a des questions à se poser ..