Rien où poser sa Tête de Françoise Frenkel
C’est l’histoire d’une traque …
Françoise Frenkel, juive, polonaise, de surcroît, née à la mauvaise période et dont l’histoire se concentre sur les dix ans où, partie ouvrir la seule librairie française à Berlin, celle-ci sera contrainte de la fermer très rapidement, suite aux évènements qui secoueront l’Allemagne et le monde entier.
En partant à Berlin en 1921, l’écrivain n’a qu’une idée en tête, promouvoir la culture française dans cette ville où tout est encore possible, jusqu’à l’arrivée des chemises brunes. Elle est au « service de la Pensée française en Allemagne ».
À partir de ce moment-là, l’existence de Françoise sera de plus en plus empoisonnée, et, en août 1939, le consulat de France lui conseille de partir pour Paris.
Contrainte de fermer ce lieu de rencontre, de partage, de culture qu’elle aime tant, Françoise Frenkel part pour la France en s’imaginant être plus protégée que ses compatriotes grâce à ses connexions.
‘’Il est du devoir des survivants de rendre témoignage afin que les morts ne soient pas oubliés’’
L’histoire que nous raconte l’auteur est somme toute très simple et fort actuelle.
Partie de Berlin, Françoise sera ballotée de villes en ville, connaîtra un moment l’accalmie lorsqu’elle arrivera en France, où elle obtiendra même un permis de séjour, jusqu’à la déclaration de la guerre.
Cependant, un papier signé par le président du Conseil ne vaudra bientôt plus rien.
Elle est juive, et sa situation va s’aggraver lorsque, assurée d’avoir un visa d’entrée en Suisse grâce à des amis, elle ne peut cependant bénéficier d’un visa de sortie.
Pendant les 200 pages du roman, nous suivons cette femme très courageuse, dont la conduite reste toujours digne, même lorsqu’elle se trouve au bord du gouffre.
Ce qui m’a dérangée, dans ce livre, c’est la froideur quasi mathématique avec laquelle Françoise décrit ses péripéties.
Trop factuel, il ne parle pas assez des émotions que ressent cette femme dans la perte de ses proches, dans l’inquiétude de ne plus jamais les revoir.
Pas un seul mot sur son mari, qui a sans doute été pris dans une rafle, en 1942.
Quelques lignes sur sa mère et sur sa famille, qui lui manquent énormément, mais, dans l’ensemble, c’est davantage un périple que nous suivons, celui d’une femme qui essaie d’échapper à son destin tragique, et qui n’a sans doute pas le temps de s’épancher sur ses sentiments.
Cependant, le livre nous confronte aux grandeurs et bassesses de l’être humain et à ces éternelles questions que nous pouvons nous poser : qu’aurions-nous fait à la place de ces gens ?
Aurions-nous été prêts à risquer nos propres vies pour des êtres que nous ne connaissions même pas ?…
On ne sait pas ce qu’est devenue Françoise Frenkel après la parution de « Rien où poser sa tête ».
Comme le dit Patrick Modiano dans la préface, ce qui fait la singularité de ce livre, c’est qu’on ne peut pas identifier son auteur de façon précise.
Ce témoignage est d’autant plus frappant qu’il semble être celui d’une femme anonyme, dont par la suite on n’a plus jamais entendu parler…
Un élément qui, selon moi, accentue encore davantage le sentiment d’étrangeté et de froideur suscité par la lecture de ce livre…
Je serais curieuse de connaître vos avis.